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41 KIA T |
BIBLIOTHEQUE DU PATRIMOINE
Dix séquences diéloguées, dix femmes et un enfant prennent place à côté de Mania, chauffeur de taxi en Iran.
Médias
Abbas Kiarostami (en persan : عباس کیارستمی, Abbās Kiārostami Écouter) est un réalisateur, scénariste et producteur de cinéma iranien né le à Téhéran en Iran et mort le à Paris en France.
Dans le monde du cinéma depuis les années 1970, Kiarostami signe plus de quarante films dont des courts métrages, des documentaires ou encore des films dramatiques. La critique l’a majoritairement loué pour des œuvres telles que Close-up, la trilogie de Koker (Où est la maison de mon ami ? en 1987, Et la vie continue en 1991 et Au travers des oliviers en 1994), ou Le Goût de la cerise en 1997 et Le vent nous emportera en 1999.
Abbas Kiarostami s’investit comme scénariste, monteur, directeur artistique, producteur mais surtout en tant que réalisateur. Avant de se tourner vers le cinéma un peu plus tard, il débute en produisant des dessins animés, des génériques et des supports publicitaires. Il est également poète, photographe, peintre, illustrateur et dessinateur graphiste[1].
Kiarostami est un des réalisateurs de la Nouvelle Vague iranienne (Cinemay-e motafavet ou « cinéma différent »), un mouvement du cinéma iranien qui commence vers la fin des années 1960 et inclut les précurseurs Furough Farrokhzad, Sohrab Shahid Saless, Bahram Beyzai et Parviz Kimiavi. Ces réalisateurs ont beaucoup de techniques en commun, dont l’utilisation du dialogue poétique et de la narration allégorique pour traiter les séquences politiques et philosophiques[2].
Kiarostami est connu pour filmer les enfants comme protagonistes de films documentaires à style narratif[3], ainsi que pour des innovations en termes de réalisation. Il utilise la poésie iranienne contemporaine dans les dialogues, les titres et les thèmes de ses films.
Kiarostami est né à Téhéran le 22 juin 1940[4]. Intéressé par l’art et le cinéma[5] dès son enfance, il gagne un concours de peinture à dix-huit ans, avant de faire ses études à la faculté des beaux-arts de l’université de Téhéran[6]. Il finance une partie de ses études en travaillant en tant qu’agent de la circulation. Dans les années 1960, Kiarostami travaille dans la publicité comme peintre, concepteur et illustrateur . Il conçoit des affiches et crée des films publicitaires[7].
Entre 1962 et 1966, il tourne environ 150 annonces pour la télévision iranienne. Vers la fin des années 1960, il commence à créer des génériques pour des films (dont Gheysar de Massoud Kimiaei) et à illustrer des livres pour enfants[6],[8].
En 1969 débute la Nouvelle Vague iranienne avec le film de Dariush Mehrjui La Vache (Gav). La même année, sous l’influence de Firuz Shivanlu, Kiarostami participe avec Ebrahim Forouzesh à la création d’un département réalisation à l’Institut pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes de Téhéran (le Kanun), qui était à l'origine dédié à la publication de livres pour enfants[9]. Cet institut a été créé sous l’impulsion des Pahlavi, qui proposaient ainsi un exutoire créatif à la jeunesse iranienne afin de la détourner des activités politiques[10]. Le Kanun est alors une des deux structures publiques de production de films en Iran. Il deviendra un des hauts lieux du développement d’une modernité cinématographique à l’iranienne selon Agnès Devictor[11],[12].
Hamid Dabashi, professeur d’études iraniennes à l’université Columbia, explique que, malgré la situation politique de l’Iran, Kiarostami avait des préoccupations créatives différentes :
La première réalisation de Kiarostami pour le cinéma est un film de douze minutes en noir et blanc, Le Pain et la Rue (Nan va koutcheh) (1970), un court métrage néoréaliste au sujet de la confrontation d’un écolier malheureux et d’un chien agressif, réalisé à la demande d'un ami pour son projet de studio de cinéma pour enfants[13]. La Récréation (Zang-e tafrih) suit en 1972.
Le département réalisation, qui permet à Kiarostami de réaliser ses premiers courts métrages, finit par devenir l’un des studios cinématographiques les plus célèbres d’Iran, produisant non seulement les films de Kiarostami, mais aussi des films iraniens appréciés tels Le Coureur (Amir Naderi, 1985) et Bashu, le petit étranger (Bahram Beyzai, 1986)[6].
Abbas Kiarostami épouse Parvin Amir-Gholi en 1969. Ils ont deux enfants : Ahmad, né en 1971, et Bahman, né 1978. Le couple divorce en 1982.
Bahman Kiarostami est lui-même devenu réalisateur et cinéaste. En 1993, âgé de quinze ans, il a dirigé avec l’aide de son père le documentaire Périple au pays des voyageurs (Journey to the Land of the Traveller).
Kiarostami réussit à affirmer son style, malgré le manque de moyens sous le règne du Shah. Il travaille habituellement sur des thèmes politiques, tel que l’ordre, la liberté individuelle, ou encore sur la justice sociale, comme dans ses films Avec ou sans ordre, Cas numéro un, cas numéro deux, Le Concitoyen ou Close-up. Il affirme :
Dans les années 1970, acteur de la renaissance cinématographique iranienne, Abbas Kiarostami suit un modèle individuel de la réalisation[10]. En parlant de son premier film, il déclare :
Après Expérience, en 1973, Kiarostami réalise Le Passager (Mossafer) en 1974. Le Passager raconte l’histoire de Hassan Darabi, un garçon de dix ans, difficile et amoral, vivant dans une petite ville d’Iran. Il souhaite voir l’équipe nationale de football jouer un match important à Téhéran. Pour y arriver, il arnaque ses amis et des voisins. Après nombre d’aventures, il atteint finalement le stade Aryamehr à l’heure du match. Ce film traite de la détermination d’un garçon dans son dessein et de son indifférence aux effets de ses actions sur les autres ; en particulier ceux qui sont les plus proches de lui. Le film est un examen du comportement humain et de l’équilibre du bien et du mal. Il contribue à la réputation de réalisme, de simplicité diégétique, et de complexité stylistique de Kiarostami. Il témoigne aussi de son goût pour les voyages, aussi bien matériels que spirituels[16].
En 1975, Kiarostami dirige les courts-métrages Moi aussi je peux (Man ham mitounam) et Deux solutions pour un problème (Dow rahehal baraye yek massaleh). Début 1976, il réalise Couleurs (Rangha), suivi du film de 54 minutes, Le Costume de mariage (Lebassi baraye aroussi) relatant l’aventure de trois adolescents entrant en conflit à propos d’un costume de mariage[17],[18]. Le premier long métrage de Kiarostami est, en 1977, Le Rapport (Gozaresh), d’une durée de 112 minutes. Le sujet est la vie d’un percepteur accusé de corruption ; entre autres thèmes, le film aborde la question du suicide. Durant cette même année, il tourne deux autres courts métrages : Comment utiliser son temps libre ? (Az oghat-e faraghat-e khod chegouneh estefadeh konim?) et Hommage aux professeurs (Bozorgdasht-e mo’allem). En 1979, il produit et dirige Cas numéro un, cas numéro deux (Ghazieh-e shekl-e avval, ghazieh-e shekl-e dovvom).
Après la révolution iranienne en 1979, l’État iranien, transformé en république islamique, cherche à islamiser l’ordre social. Cet objectif va avoir des répercussions sur le cinéma iranien : les nouveaux dirigeants du pays cherchent alors à créer un genre national unique, un cinéma « pur » et débarrassé de toute « vulgarité » et de tout lien à l’Occident[11]. Des institutions publiques sont donc créées ou remodelées afin de permettre au pouvoir politique et religieux d’atteindre ses objectifs, c’est-à-dire de favoriser une production cinématographique nationale qui soit en conformité avec les normes islamiques imposées à toute la société.
Kiarostami reste en Iran après la révolution — alors que certains autres réalisateurs iraniens s’enfuient en Occident. Il considère cette décision comme l’une des plus importantes de sa carrière. Kiarostami pense que sa nationalité et le fait de rester en Iran confortent son savoir-faire de réalisateur :
Au début des années 1980, Kiarostami dirige plusieurs courts-métrages dont La Rage de dents (Dandān dard) (1980), Avec ou sans ordre (Be tartib ya bedun-e tartib) (1981), Le Chœur (Hamsarayan) (1982) ou encore Le Concitoyen (Hamshahri) (1983). La plupart de ces films sont réalisés au sein du Kanun, qui survit à la révolution grâce à son dynamisme et son indépendance selon Agnès Devictor[11]. L’institut dont la direction avait été confiée à Kiarostami, dispose d’un budget indépendant, bien que son conseil de direction accueille le ministre de l’Éducation, le ministre de la Culture et de l’orientation islamique et le président de la Télévision. C’est de cette institution que sortiront les premiers films iraniens sélectionnés à l’étranger, comme Où est la maison de mon ami ? (Khaneh-ye doust kodjast ?), que Kiarostami réalise en 1987.
Où est la maison de mon ami ? est le récit apparemment simple de la quête d’un écolier de 8 ans, nommé Ahmad, consciencieux et qui cherche à rendre son cahier à son ami habitant dans le village voisin de Koker, Pochteh. S’il ne parvient pas à le remettre avant le jour suivant, son ami risque d’être renvoyé de l’école. Mais en arrivant à Pochteh, on lui dit que Mohammad, son ami, est parti pour Koker… Les croyances traditionnelles des campagnards iraniens sont dépeintes tout au long du film. Ce film est remarquable pour l’utilisation poétique du paysage rural iranien et pour son profond réalisme. Ces éléments sont importants dans le travail de Kiarostami. Abbas Kiarostami a réalisé ce film du point de vue d’un enfant sans la condescendance qu’on peut déplorer dans beaucoup de films traitant des enfants[20],[21].
En 1987, Kiarostami contribue au scénario de La Clé (Kelid) qu’il monte mais ne dirige pas. En 1989, il réalise Devoirs du soir (Mashgh-e Shab).
Où est la maison de mon ami ? et les films suivants Et la vie continue (Zendegi va digar hich)[22], en 1992, puis Au travers des oliviers (Zir-e derakhtan zeytoun) en 1994, sont désignés comme étant la Trilogie de Koker par les critiques de cinéma. En effet, ces trois films mettent en vedette le village de Koker, au nord de l’Iran. Les films sont en rapport avec le tremblement de terre de 1990[23]. Kiarostami emploie les thèmes de la vie, de la mort, du changement, et de la continuité pour relier les films[24]. La trilogie remporte un vif succès en France dans les années 1990 ainsi que dans d’autres pays comme les Pays-Bas, la Suède, l’Allemagne et la Finlande[25]. Kiarostami lui-même ne considère pas ces trois films comme une trilogie. Il suggère plutôt que la trilogie est formée des deux derniers titres et du film Le Goût de la cerise (Ta’m-e gilas) (1997). Ces trois films ont en effet un thème commun, le caractère précieux de la vie[26], en particulier dans le « face-à-face entre la vie et la mort » (selon ses propres termes)[24].
Et la vie continue (Zendegi va digar hich) est le dernier film de Kiarostami produit par le Kanun, et marque la fin du dynamisme de cette institution, en 1992. Agnès Devictor souligne que la qualité en moyenne très élevée de la production cinématographique iranienne postrévolutionnaire est en partie due au soutien de l’État et des différentes institutions comme le Kanun qui permettaient de financer les films, et offraient ainsi une certaine liberté artistique à des réalisateurs moins soumis aux exigences de rentabilité[11],[27].
Durant les années 1990, le cinéma de Kiarostami a les vertus d’un outil diplomatique : ses films ont introduit en Occident une nouvelle vision de l’Iran, différente des clichés médiatiques. Mais l’État iranien réprouve ses films, les jugeant « insuffisamment islamiques »[14] et « trop formatés au goût de l'Occident »[28], quoique la réprobation institutionnelle soit rendue difficile par la renommée grandissante du réalisateur[29].
Le Goût de la cerise est, par exemple, censuré pendant quelque temps en Iran[30]. Mais le film est autorisé la veille de la remise du palmarès du Festival de Cannes où Abbas Kiarostami recevra la Palme d'or (l'État parviendra tout de même à imposer des modifications à Kiarostami, en le forçant à remplacer un morceau de Louis Armstrong de la bande son par de la musique traditionnelle[31]).
En 1990, Kiarostami dirige Close-Up (Gros plan). Ce film relate l’histoire vraie d’un homme qui se fait passer pour le réalisateur Mohsen Makhmalbaf. L’imposteur dupe une famille en faisant croire à ses membres qu’ils seront les vedettes de son futur long métrage. La famille suppose que le vol est le motif de ce méfait, mais l’imposteur, Hossein Sabzian, prétend que sa motivation était plus complexe. Le film, mi-documentaire, mi-fiction, examine la justification morale de Sabzian à usurper l’identité de Makhmalbaf. La défense d’Hossein Sabzian semble difficile à comprendre si le spectateur ne partage pas sa passion pour l’art en tant qu’émancipateur culturel et intellectuel[32],[33].