Un homme est engagé comme copiste dans un cabinet de Wall Street. Et voilà qu'à peine arrivé, cet employé modeste se met, sans raison, à opposer à chacune des requêtes de son patron la même formule, stupéfiante : "I would prefer not to", «J'aimerais mieux pas»... Cet homme, c'est Bartleby ; son destin, celui d'un original qui, par la force de quelques mots, sème autour de lui un vent de folie, sape toute autorité, et se coupe irrémédiablement du reste du monde. Fable grinçante où le cocasse le dispute au tragique, "Bartleby" [...] est l'une des oeuvres les plus corrosives de Melville. Les deux autres récits rassemblés dans ce volume lui font écho : les mystérieux marins solitaires des "Îles enchantées" et Bannadonna, l'artisan génial reclus dans la tour du "Campanile", sont les frères de Bartleby. À travers ces trois histoires, Herman Melville (1819-1891), explorateur de l'âme humaine, construit un univers dans lequel chaque personnage, défiant la normalité, emporte le lecteur dans le vertige salutaire du doute (4e de couv.).
Ce premier volume du "Ciné Journal" de Serge Daney reprend un choix de critiques de films, d'éditoriaux et d'articles parus dans Libération, entre 1981 et 1982.
Cinéma 1 : L'image-mouvement.
Cette étude n’est pas une histoire du cinéma, mais un essai de classification des images et des signes tels qu’ils apparaissent au cinéma. On considère ici un premier type d’image, l’image-mouvement, avec ses variétés principales, image-perception, image-affection, image-action, et les signes (non linguistiques) qui les caractérisent. Tantôt la lumière entre en lutte avec les ténèbres, tantôt elle développe son rapport avec le blanc. Les qualités et les puissances tantôt s’expriment sur [...] des visages, tantôt s’exposent dans des " espaces quelconques ", tantôt révèlent des mondes originaires, tantôt s’actualisent dans des milieux supposés réels. Les grands auteurs de cinéma inventent et composent des images et des signes, chacun à sa manière. Ils ne sont pas seulement confrontables à des peintres, des architectes, des musiciens, mais à des penseurs. Il ne suffit pas de se plaindre ou de se féliciter de l’invasion de la pensée par l’audiovisuel ; il faut montrer comment la pensée opère avec les signes optiques et sonores de l’image-mouvement, et aussi d’une image-temps plus profonde, pour produire parfois de grandes oeuvres (4e de couv.).
Table des matières :
Avant-propos.
I. Thèses sur le mouvement (premier commentaire de Bergson).
Première thèse : le mouvement et l'instant. Seconde thèse : instants privilégiés et instants quelconques. Troisième thèse : mouvement et changement.- Le tout, l'Ouvert ou la durée.- Les trois niveaux : l'ensemble et ses parties ; le mouvement ; le tout et ses changements.
II. Cadre et plan, cadrage et découpage.
Le premier niveau : cadre, ensemble ou système clos.- Les fonctions du cadre.- Le hors-champ : ses deux aspects.
Le second niveau : plan et mouvement.- Les deux faces du plan : vers les ensembles et leurs parties, vers le tout et ses changements.- L'image-mouvement.- Coupe mobile, perspective temporelle. Mobilité : montage et mouvement de la caméra.- La question de l'unité du plan (les plans-séquences).- L'importance du faux-raccord.
III. Montage.
Le troisième niveau : le tout, la composition des images-mouvement et l'image indirecte du temps.- L'école américaine : composition organique et montage chez Griffith.- Les deux aspects du temps : l'intervalle et le tout, le présent variable et l'immensité. L'école soviétique : composition dialectique.- L'organique et le pathétique chez Eisenstein : spirale et saut qualificatif.- Poudovkine et Dovjenko.- La composition matérialiste de Vertov. L'école française d'avant guerre : composition quantitative.- Rythme et mécanique.- Les deux aspects de la quantité de mouvement : relatif et absolu.- Gance et le sublime mathématique.- L'école expressionniste allemande : composition intensive.- La lumière et les ténèbres (Murnau, Lang).- L'expressionnisme et le sublime dynamique.
IV. L'image-mouvement et ses trois variétés (second commentaire de Bergson).
L'identité de l'image et du mouvement.- Image-mouvement et image-lumière. De l'image-mouvement à ses variétés.- Image-perception, image-action, image-affection. L'épreuve inverse : comment éteindre les trois variétés ("Film" de Beckett.- Comment les variétés se composent.
V. L'image-perception.
Les deux pôles, objectif et subjectif.- La "mi-subjective", ou l'image indirecte libre (Pasolini, Rohmer). Vers un autre état de la perception : la perception liquide.- Rôle de l'eau dans l'école française d'avant guerre.- Grémillon, Vigo. Vers une perception gazeuse.- La matière et l'intervalle selon Vertov.- L'engramme.- Une tendance du cinéma expérimental (Landow).
VI. L'image-affection : visage et gros plan.
Les deux pôles du visage : puissance et qualité. Griffith et Eisenstein.- L'expressionnisme.- L'abstraction lyrique : la lumière, le blanc et la réfraction (Sternberg). L'affect comme entité.- L'icône.- La "priméité" selon Peirce.- La limite du visage ou le néant : Bergman.- Comment y échapper.
VII. L'image-affection : qualités, puissances, espaces quelconques.
L'entité complexe ou l'exprimé.- Conjonctions virtuelles et connexions réelles.- Les composantes affectives du gros plan (Bergman).- Du gros plan aux autres plans : Dreyer. L'affect spirituel et l'espace chez Bresson.- Qu'est-ce qu'un espace "quelconque" ? La construction des espaces quelconques.- L'ombre, l'opposition et la lutte dans l'expressionnisme.- Le blanc, l'alternance et l'alternative dans l'abstraction lyrique (Sternberg, Dreyer, Bresson).- La couleur et l'absorption (Minnelli).- Les deux sortes d'espaces quelconques, et leur fréquence dans le cinéma contemporain (Snow).
VIII. De l'affect à l'action : l'image-pulsion.
Le naturalisme.- Les mondes originaires et les milieux dérivés.- Pulsions et morceaux, symptômes et fétiches.- Deux grands naturalistes : Stroheim et Buñuel.- Pulsion de parasitisme.- L'entropie et le cycle. Une caractéristique de l'oeuvre de Buñuel : puissance de la répétition dans l'image. La difficulté d'être naturaliste : King Vidor.- Cas et évolution de Nicholas Ray.- Le troisième grand naturaliste : Losey.- Pulsion de servilité.- Le retournement contre soi.- Les coordonnées du naturalisme.
IX. L'image-action : la grande forme.
De la situation à l'action : la "secondéité".- L'englobant et le duel.- Le rêve américain.- Les grands genres : le film psycho-social (King Vidor), le western (Ford), le film d'histoire (Griffith, Cecil B. de Mille). Les lois de la composition organique. Le lien sensori-moteur.- Kazan et l'Actors Studio.- L'empreinte.
X. L'image-action : la petite forme.
De l'action à la situation.- Les deux sortes d'indices.- La comédie de moeurs (Chaplin, Lubitsch). Le western chez Hawks : le fonctionnalisme.- Le néo-western et son type d'espace (Mann, Peckinpah). La loi de la petite forme et le burlesque.- L'évolution de Chaplin : la figure du discours. - Le paradoxe de Keaton : la fonction minorante et récurrente des grandes machines.
XI. Les figures ou la transformation des formes.
Le passage d'une forme à l'autre chez Eisenstein.- Le montage d'attractions.- Les différents types de figures. Les figures du Grand et du Petit chez Herzog. Les deux espaces : l'Englobant-souffle, et la ligne d'Univers.- Le souffle chez Kurosawa : de la situation à la question.- Les lignes d'univers chez Mizoguchi : du tracé à l'obstacle.
XII. La crise de l'image-action.
La "tiercéité" selon Peirce, et les relations mentales.- Les Marx.- L'image mentale selon Hitchcock.- Marques et symboles.- Comment Hitchcock achève l'image-action en la portant à sa limite. La crise de l'image-action dans le cinéma américain (Lumet, Cassavetes, Altman).- Les cinq caractères de cette crise.- Le relâchement du lien sensori-moteur. L'origine de la crise : néo-réalisme italien et nouvelle vague française.- Conscience critique du cliché.- Problème d'une nouvelle conception de l'image.- Vers un au-delà de l'image-mouvement.
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Cinéma 1 : L'image-mouvement.
Cette étude n’est pas une histoire du cinéma, mais un essai de classification des images et des signes tels qu’ils apparaissent au cinéma. On considère ici un premier type d’image, l’image-mouvement, avec ses variétés principales, image-perception, image-affection, image-action, et les signes (non linguistiques) qui les caractérisent. Tantôt la lumière entre en lutte avec les ténèbres, tantôt elle développe son rapport avec le blanc. Les qualités et les puissances tantôt s’expriment sur [...] des visages, tantôt s’exposent dans des " espaces quelconques ", tantôt révèlent des mondes originaires, tantôt s’actualisent dans des milieux supposés réels. Les grands auteurs de cinéma inventent et composent des images et des signes, chacun à sa manière. Ils ne sont pas seulement confrontables à des peintres, des architectes, des musiciens, mais à des penseurs. Il ne suffit pas de se plaindre ou de se féliciter de l’invasion de la pensée par l’audiovisuel ; il faut montrer comment la pensée opère avec les signes optiques et sonores de l’image-mouvement, et aussi d’une image-temps plus profonde, pour produire parfois de grandes oeuvres (4e de couv.).
Table des matières :
Avant-propos.
I. Thèses sur le mouvement (premier commentaire de Bergson).
Première thèse : le mouvement et l'instant. Seconde thèse : instants privilégiés et instants quelconques. Troisième thèse : mouvement et changement.- Le tout, l'Ouvert ou la durée.- Les trois niveaux : l'ensemble et ses parties ; le mouvement ; le tout et ses changements.
II. Cadre et plan, cadrage et découpage.
Le premier niveau : cadre, ensemble ou système clos.- Les fonctions du cadre.- Le hors-champ : ses deux aspects.
Le second niveau : plan et mouvement.- Les deux faces du plan : vers les ensembles et leurs parties, vers le tout et ses changements.- L'image-mouvement.- Coupe mobile, perspective temporelle. Mobilité : montage et mouvement de la caméra.- La question de l'unité du plan (les plans-séquences).- L'importance du faux-raccord.
III. Montage.
Le troisième niveau : le tout, la composition des images-mouvement et l'image indirecte du temps.- L'école américaine : composition organique et montage chez Griffith.- Les deux aspects du temps : l'intervalle et le tout, le présent variable et l'immensité. L'école soviétique : composition dialectique.- L'organique et le pathétique chez Eisenstein : spirale et saut qualificatif.- Poudovkine et Dovjenko.- La composition matérialiste de Vertov. L'école française d'avant guerre : composition quantitative.- Rythme et mécanique.- Les deux aspects de la quantité de mouvement : relatif et absolu.- Gance et le sublime mathématique.- L'école expressionniste allemande : composition intensive.- La lumière et les ténèbres (Murnau, Lang).- L'expressionnisme et le sublime dynamique.
IV. L'image-mouvement et ses trois variétés (second commentaire de Bergson).
L'identité de l'image et du mouvement.- Image-mouvement et image-lumière. De l'image-mouvement à ses variétés.- Image-perception, image-action, image-affection. L'épreuve inverse : comment éteindre les trois variétés ("Film" de Beckett.- Comment les variétés se composent.
V. L'image-perception.
Les deux pôles, objectif et subjectif.- La "mi-subjective", ou l'image indirecte libre (Pasolini, Rohmer). Vers un autre état de la perception : la perception liquide.- Rôle de l'eau dans l'école française d'avant guerre.- Grémillon, Vigo. Vers une perception gazeuse.- La matière et l'intervalle selon Vertov.- L'engramme.- Une tendance du cinéma expérimental (Landow).
VI. L'image-affection : visage et gros plan.
Les deux pôles du visage : puissance et qualité. Griffith et Eisenstein.- L'expressionnisme.- L'abstraction lyrique : la lumière, le blanc et la réfraction (Sternberg). L'affect comme entité.- L'icône.- La "priméité" selon Peirce.- La limite du visage ou le néant : Bergman.- Comment y échapper.
VII. L'image-affection : qualités, puissances, espaces quelconques.
L'entité complexe ou l'exprimé.- Conjonctions virtuelles et connexions réelles.- Les composantes affectives du gros plan (Bergman).- Du gros plan aux autres plans : Dreyer. L'affect spirituel et l'espace chez Bresson.- Qu'est-ce qu'un espace "quelconque" ? La construction des espaces quelconques.- L'ombre, l'opposition et la lutte dans l'expressionnisme.- Le blanc, l'alternance et l'alternative dans l'abstraction lyrique (Sternberg, Dreyer, Bresson).- La couleur et l'absorption (Minnelli).- Les deux sortes d'espaces quelconques, et leur fréquence dans le cinéma contemporain (Snow).
VIII. De l'affect à l'action : l'image-pulsion.
Le naturalisme.- Les mondes originaires et les milieux dérivés.- Pulsions et morceaux, symptômes et fétiches.- Deux grands naturalistes : Stroheim et Buñuel.- Pulsion de parasitisme.- L'entropie et le cycle. Une caractéristique de l'oeuvre de Buñuel : puissance de la répétition dans l'image. La difficulté d'être naturaliste : King Vidor.- Cas et évolution de Nicholas Ray.- Le troisième grand naturaliste : Losey.- Pulsion de servilité.- Le retournement contre soi.- Les coordonnées du naturalisme.
IX. L'image-action : la grande forme.
De la situation à l'action : la "secondéité".- L'englobant et le duel.- Le rêve américain.- Les grands genres : le film psycho-social (King Vidor), le western (Ford), le film d'histoire (Griffith, Cecil B. de Mille). Les lois de la composition organique. Le lien sensori-moteur.- Kazan et l'Actors Studio.- L'empreinte.
X. L'image-action : la petite forme.
De l'action à la situation.- Les deux sortes d'indices.- La comédie de moeurs (Chaplin, Lubitsch). Le western chez Hawks : le fonctionnalisme.- Le néo-western et son type d'espace (Mann, Peckinpah). La loi de la petite forme et le burlesque.- L'évolution de Chaplin : la figure du discours. - Le paradoxe de Keaton : la fonction minorante et récurrente des grandes machines.
XI. Les figures ou la transformation des formes.
Le passage d'une forme à l'autre chez Eisenstein.- Le montage d'attractions.- Les différents types de figures. Les figures du Grand et du Petit chez Herzog. Les deux espaces : l'Englobant-souffle, et la ligne d'Univers.- Le souffle chez Kurosawa : de la situation à la question.- Les lignes d'univers chez Mizoguchi : du tracé à l'obstacle.
XII. La crise de l'image-action.
La "tiercéité" selon Peirce, et les relations mentales.- Les Marx.- L'image mentale selon Hitchcock.- Marques et symboles.- Comment Hitchcock achève l'image-action en la portant à sa limite. La crise de l'image-action dans le cinéma américain (Lumet, Cassavetes, Altman).- Les cinq caractères de cette crise.- Le relâchement du lien sensori-moteur. L'origine de la crise : néo-réalisme italien et nouvelle vague française.- Conscience critique du cliché.- Problème d'une nouvelle conception de l'image.- Vers un au-delà de l'image-mouvement.
la quatrième de couverture indique : [...] L'image-temps ne supprime pas l'image mouvement, elle renverse le rapport de subordination. Au lieu que le temps soit le noombre ou la mesure du mouvement, c'est-à-dire une représentation indirecte, le mouvement n'est plus que la conséquence d'une présentation directe du temps : par là même un faux mouvement, un faux raccord. le faux raccord est un exemple de "coupure irrationnelle". Et tandis que le cinéma du mouvement opère des enchaînements d'images par coupures rationnelles, le cinéma [...] du temps procède par ré-enchaînements sur coupure irrationnelle (notamment entre l'image sonore et l'image visuelle). C'est une erreur de dire que l'image cinématographique est forcément au présent. l'image-temps directe n'est pas au présent, pas plus qu'elle n'est souvenir. Elle rompt avec la succession empirique, et avec la mémoire psychologique, pour s'élever à un ordre ou à une série du temps (welles, resnais, Godard...). Ces signes de temps sont inséparables de signes de pensée, et de signes de parole.
Ecrits en 1977, ces entretiens témoignent de l'intelligence, de la vivacité et d'une passion pour la vie du philosophe français disparu en novembre 1995. Gilles Deleuze, opposé à toutes les psychanalyses, les interprétations, les langages binaires, a renouvelé, en divers domaines les formes de la pensée philosophique française. Claire Parnet est journaliste, très proche de Gilles Deleuze.
"Un concept de différence implique une différence qui n'est pas seulement entre deux choses, et qui n'est pas non plus une simple différence conceptuelle. Faut-il aller jusqu'à une différence infinie (théologie) ou se tourner vers une raison du sensible (physique)? A quelles conditions constituer un pur concept de la différence?
Un concept de répétition implique une répétition qui n'est pas seulement celle d'une même chose ou d'un même élément. Les choses ou les éléments supposent une répétition plus profonde, rythmique. [...] L'art n'est-il pas à la recherche de cette répétition paradoxale, mais aussi la pensée (Kierkegaard, Nietzsche, Péguy)?
Quelle chance y a-t-il pour que les deux concepts, de différence pure et de répétition profonde, se rejoignent et s'identifient?
Comment Foucault définit-il " voir " et " parler ", de manière à constituer une nouvelle compréhension du Savoir ? Qu’est-ce qu’un " énoncé ", à cet égard, dans sa différence avec les mots, les phrases et les propositions ?
Comment Foucault détermine-t-il les rapports de forces, de manière à constituer une nouvelle conception du Pouvoir ?
Pourquoi faut-il un troisième axe, qui permette de " franchir la ligne " ? Quelle est cette Ligne du Dehors toujours invoquée par Foucault ? Quel en est le sens politique, littéraire, [...] philosophique ?
En quoi la " mort de l’homme " est-elle un évènement qui n’est ni triste ni catastrophique, mais une mutation dans les choses et la pensée ?
Ce livre se propose d’analyser ces questions et réponses de Foucault, qui forment une des plus grandes philosophies du XXe siècle, ouvrant un avenir du langage et de la vie (4e de couv.).
Table :
Avant-propos.
1. De l'archive au diagramme.
. Un nouvel archiviste ("L'archéologie du savoir").
. Un nouveau cartographe ("Surveiller et punir").
2. Topologie : "Penser autrement".
. Les strates ou formations historiques : le visible et l'énonçable (savoir).
. Les stratégies ou le non-stratifié : la pensée du dehors (pouvoir).
. Les plissements, ou le dedans de la pensée (subjectivation).
« Le livre de Gilles Deleuze sur Francis Bacon est bien autre chose que l’étude d’un peintre par un philosophe. Est-il du reste " sur " Bacon, ce livre ? Et qui est le philosophe, qui est le peintre ? Nous voulons dire : qui pense, et qui regarde penser ? On peut certainement penser la peinture, on peut aussi peindre la pensée, y compris cette forme exaltante, violente, de la pensée qu’est la peinture. Nous nous sommes dit : " Il ne faut pas que ce grand livre cesse de circuler, disparaisse de la circulation à laquelle il est [...] destiné, celle qui le fait passer, de main en main, chez les amants de la philopeinture, ou de la pictophilosophie ? Chez les perspicaces amants de l’équivalence, en forme de pliure, entre le visible et son revers nominal. " Nous avons donc décidé de republier ce livre dans la collection " L’ Ordre philosophique ", où tout livre a pour fonction d’y faire désordre. » Alain Badiou et Barbara Cassin.
" Pitié pour la viande! Il n'y a pas de doute, la viande est l'objet le plus haut de la pitié de Bacon, son seul objet de pitié, sa pitié d'Anglo-Irlandais. Et sur ce point, c'est comme pour Soutine, avec son immense pitié de Juif. La viande n'est pas une chair morte, elle a gardé toutes les souffrances et pris sur soi toutes les couleurs de la chair vive. Tant de douleur convulsive et de vulnérabilité, mais aussi d'invention charmante, de couleur et d'acrobatie. Bacon ne dit pas "pitié pour les bêtes " mais plutôt tout homme qui souffre est de la viande. La viande est la zone commune de l'homme et de la bête, leur zone d'indiscernabilité, elle est ce " fait ", cet état même où le peintre s'identifie aux objets de son horreur ou de sa compassion. Le peintre est boucher certes, mais il est dans cette boucherie comme dans une église, avec la viande pour Crucifié (" peinture " de 1946). C'est seulement dans les boucheries que Bacon est un peintre religieux. " Gilles Deleuze.