Transport de caisses, déballage, montage des oeuvres... En 1987, le sculpteur belge Didier Vermeiren (né en 1951), aidé de son assistant, installe son exposition à la villa Arson à Nice. Tout au long de la mise en place, il expose la problématique d'un travail d'une rigueur minimaliste.
La caméra d'Elsa Cayo ne cesse de parcourir la salle d'exposition et de revenir sur les oeuvres. Elle s'y arrête longuement comme devant une énigme, les contourne. Si un instant elle se transporte au palais des beaux-arts de Bruxelles où sont [...] exposées d'autres oeuvres de Vermeiren, c'est à peine si nous nous en apercevons, car toutes sont animées d'un même principe : réduire la sculpture à ses éléments premiers, poids, densité, volume, matériaux, pour tenter de la définir.
De la toile blanche au tableau terminé ("3004 P"), Ludwig Trovato filme Vincent Corpet (né en 1958) à l'oeuvre dans son atelier, face à son modèle. Le peintre transforme patiemment une matière picturale épaisse et colorée en un nu féminin grandeur nature, réaliste et tout en nuances. En voix off, l'artiste et la jeune femme commentent l'expérience vécue, avec la distance du spectateur regardant pour la première fois ces images.
Pour construire ses portraits en pied, Vincent Corpet part de couleurs pures, brossées en taches, qu' [...] il ne cesse de recouvrir por les fondre et obtenir des demi-teintes, elles-mêmes retouchées (parfois même au cutter), plus apte à imiter la chair. La confrontation permanente entre le modèle en pose et la toile à laquelle le peintre donne forme nous fait éprouver le passage de la vie à l'art. L'art fige la vie et Alix Valin dit se sentir comme un "gisant redressé"..Mais si la représentation tue l'individu qu'est le modèle, c'est pour mieux saisir ce qu'il a en commun avec ses semblables: le destin.
En mars 1967 à Besançon, une grève sans précédent éclata à la Rhodiacetta, usine de textiles dépendant du trust Rhône-Poulenc. Une grève pas comme les autres, tant par sa durée que par sa forme, les revendications ne concernent pas seulement les salaires ou la sécurité de l'emploi, mais le mode de vie imposé par la société à la classe ouvrière.
L'impact de cette lutte ne se mesure pas tant à ce qui a été obtenu (peu de choses), qu'aux "déclics" qu'elle a provoqués aux niveaux individuel et collectif. Par son refus de [...] dissocier vie sociale et vie culturelle, elle a favorisé la réflexion des travailleurs sur leur identité et la nature de leur lutte. Un moment privilégié de découverte : rencontre avec les autres, syndicalistes CGT ou CFDT, communistes, découverte des activités culturelles dans l'entreprise et tout ce qui ne s'énumère pas mais qui restera dans les têtes et dans les coeurs. Un avant-goût des grandes luttes de 68. Une manière originale de filmer l'événement qui fait appel exclusivement à ses acteurs.
En 1984, Akira Kurosawa a investi les pentes du Mont Fuji pour tourner "Ran", transposition dans le moyen-âge japonais du "King Lear" de Shakespeare. Chris Marker l'a suivi pour en tirer "AK", entre journal de tournage et portrait. Posant un regard humble mais distancé sur les méthodes de celui qu'il compte parmi les plus grands cinéastes alors vivants, il en révèle la péremptoire maîtrise".
Le premier piège dans un tel tournage est de nous parer d'une beauté qui n'est pas à nous, de jouer la belle image et le contre-jour. Bien sûr [...] il en passera de toute façon quelque chose de cette beauté empruntée. Mais nous essaierons de montrer ce que nous voyons comme nous le voyons, à notre hauteur." "AK" manifeste donc la volonté de coller le plus justement à son sujet, d'être à la hauteur de l'autorité et de l'assurance de Kurosawa, sans se laisser guider par la seule admiration. A l'instar de "Ran", les images d'"AK" sont d'une beauté étonnante et proposent un improbable feuilleté : armures et kimonos sertissent la terre noire du Mont Fuji et s'intègrent avec magie au matériel de tournage. Minutieuse, la caméra saisit le rythme haché du travail et en tire sa densité propre".
Tout proche du tourbillon du Rhône, sous le ciel étoilé d'un tableau, le peintre belge Pierre Alechinsky (né en 1927), membre du groupe Cobra, se prépare au travail. Il dilue ses couleurs dans des bols japonais et étale sur le sol un papier tout constellé de taches. Il cerne, éponge, encolle, retravaille sur chevalet dans un silence concentré. En voix off, il émet de piquants aphorismes sur la peinture.
Avec une grande sobriété de ton, sans autre commentaire, Pierre Coulibeuf s'est contenté de suivre la progression du travail. [...] Ainsi, très simplement, il en révèle toutes les facettes et réalise un document plein d'enseignement.
Filmé face caméra, Alexandre Sokurov (né en 1951) parle de sa recherche esthétique à travers plusieurs grands chapitres : "Courbes", "Torsion et distorsions", "Désaccords et accords", "Les Poussières du chemin"... Anne Imbert confronte ce discours théorique et néanmoins poétique avec des images de reflets dans l’eau, des lumières dorées dans les ruelles, des plans picturaux du ciel et de la mer, et les extraits des films du cinéaste russe.
Une spécificité du cinéma, selon Alexandre Sokurov, est de pouvoir rendre les [...] atmosphères. Plus qu’à l’écrivain, il compare ainsi le cinéaste au peintre et au musicien : "La mélodie met tout en place." Là où l’optique est "l’ennemie", car elle tente d’être le coauteur du film, le son est son âme, toujours en train d’échapper au créateur. Le réalisateur aborde également ses thématiques de prédilection. Il filme la parenté comme un fardeau, que ce soit à travers le sacrifice du fils dans "Mère et Fils" (1996) ou la relation complexe de "Père et Fils" (2003). Il explore également le rapport à un temps qui ne reviendra jamais, en particulier à travers ses "Elégies paysannes" (1978 et 1988). Dans ses narrations historiques, enfin, il filme les dictateurs comme des hommes : dans "Moloch" (1999), Hitler est raconté à travers des détails quotidiens, concrets. Cette dimension humaniste habite en profondeur son travail qui, derrière son esthétisme, est une oeuvre de compassion.
Journée à la campagne : visite chez les Cueco en Corrèze, dans leur maison-atelier ouverte sur la nature, source de leur inspiration. Oeuvres individuelles où chacun poursuit son chemin tout en nourrissant la réflexion de l'autre. Si la peinture d'Henri est habitée par la question de la représentation, Marinette, à travers ses "arrangements" végétaux, pose un regard sur l'essentiel et l'anodin.
Henri Cueco, peintre de la figuration narrative et membre fondateur de la coopérative des Malassis dans les années soixante-dix, évoque [...] son itinéraire de peintre : de la revendication politique et critique de l'art au retour à la nature salvatrice et au paysage. Il se définit lui-même comme un artiste moderne rural. Dans la campagne environnante, Marinette cueille, accumule, tisse, natte, installe graminées et végétaux fragiles, manifestant son respect et son admiration pour ces plantes dans "la multitude de leurs formes". Deux regards, deux façons d'appréhender la nature et le paysage et d'offrir au spectateur une expérience du visible.
Courbevoie, Suresnes, Saint-Denis, Vincennes, Pantin, canal de l'Ourcq... Errance "au pays des paysages pauvres", dans la banlieue parisienne de la fin des années 1950. Sur une musique de Georges Delerue qui colle à l'ennui, ce "principal agent d'érosion" des banlieues, Maurice Pialat mène une charge nerveuse (image et commentaire) contre les politiques d'urbanisation intensive, les conditions de vie ouvrière et la déculturation.
Dès qu'on passe les portes de Paris, on comptabilise surtout les déficits : en espaces verts, en terrains [...] de jeux, en air respirable, en lieux culturels, en établissements scolaires, en structures sociales et en paysages paisibles où poser et reposer les yeux. La banlieue selon Pialat est une longue énumération : ses hautes cheminées lâchant des fumées glauques, ses gazogènes hideux, ses bagarres entre ados dans des terrains on ne peut plus vagues, la misère et l'ennui de ses grands ensembles, la tristesse et la petitesse de son univers pavillonnaire, sa "culture et sa construction en toc", ses temps de transport interminables pour rejoindre la capitale... "Un univers de mâchefer, de poussière et de rouille, où il ne fait pas bon rester emprisonné après y être né."
Grâce à l'invention de la gravure en couleur par son maître Jakob-Christof Le Blon (1667-1741), Gautier d'Agoty fut l'auteur poétique d'étranges planches d'anatomie. A l'heure où de bruyantes machines d'imprimerie débitent à un rythme soutenu des feuilles en quadrichromie, le film nous fait redécouvrir le procédé novateur de Le Blon dans le silence de l'atelier d'un graveur.
Depuis le XVe siècle où le coloriage à la main des estampes ne donnait que des aplats, aucun procédé de gravure n'avait su rendre les subtilités colorées [...] de la peinture. S'appuyant sur les expériences de Newton relatives à la décomposition de la lumière, Le Blon s'appliqua à reproduire les variations de la couleur en gravant quatre plaques pour une seule épreuve : une pour chaque couleur de base (bleu, rouge et jaune) et une pour le noir rendant les ombres. Pour obtenir des dégradés de tons veloutés, Le Blon utilisa la technique du "mezzo-tinto" ou manière noire. Ainsi, grâce au passage successif des plaques, les couleurs se superposent et composent, par transparence et mélange, toute la gamme chromatique recherchée. Malgré son invention, Le Blon mourut démuni et Gautier d'Agoty s'attribua le procédé.
Du haut d'une colline romaine, contemplant ce "musée naturel" qui est comme la patrie des historiens de l'art, André Chastel (1918 - 1990) se remémore le sentiment de bonheur qui, à l'adolescence, décida de sa vocation. Sentiment renouvelé tout au long d'une carrière pourtant marquée par les ruptures de la guerre, et qui vit, avec la photographie et le cinéma dont l'entretien est richement illustré, la transformation complète du statut de l'image.
Elève d'Henri Focillon, André Chastel découvre simultanément l'histoire de l'art [...] par la lecture d'Erwin Panofsky et le cinéma soviétique avec son ami Roger Caillois. Après un passage à l'institut Warburg de Londres, puis à Trieste et à Florence, où il rencontre Robert Balzen et les milieux anti-fascistes, il est mobilisé et interné dans un camp de prisonniers où il donne ses premières conférences. A la Libération, il est affecté par l'Ecole normale à la classification des oeuvres du peintre Edouard Vuillard. Ses recherches s'orientent vers la question du rapport entre art et philosophie à la Renaissance, puis, à travers l'étude du Sac de Rome de 1527, aux effets des catastrophes historiques sur l'évolution de la culture.